News | 18 sept 2025

Vers de nouveaux territoires : réécrire l'histoire des agriculteurs européens

Un groupe thématique récent du Réseau européen de la PAC s'est penché sur la question de mieux faire connaître et apprécier par le grand public les contributions plus larges des agriculteurs à la société.

Les agriculteurs sont bien plus que de simples producteurs alimentaires : ils sont des gardiens de l'environnement, des éducateurs, des innovateurs et les piliers des communautés rurales. Néanmoins, une grande partie de cette contribution sociétale reste invisible ou sous-estimée par le grand public.

Composé d'agriculteurs, d'ONG, d'éducateurs, de communicants et de décideurs politiques issus de 19 États membres de l'UE, le groupe thématique (GT) du Réseau européen de la PAC sur l'évaluation des contributions plus larges des agriculteurs à la société s'est réuni deux fois cette année à Bruxelles afin d'étudier les outils et les techniques pouvant être utilisés pour faire avancer le débat d'une manière qui reflète mieux la véritable valeur sociétale de l'agriculture.

Changer le discours

L'une des principales conclusions de la première réunion du groupe (février 2025) a été la nécessité de passer outre les stéréotypes persistants dans le discours public et médiatique. C'est un sujet que la journaliste agroalimentaire Natasha Foote a approfondi, en décomposant les discours médiatiques courants et récurrents dans une présentation inaugurale. Ces discours allaient de « l'agriculteur en colère » à « l'agriculteur passif », comme le soulignent le document de référence (disponible sur la page du GT) et l'image ci-dessous.

Thematic Group on Farmers contribution infographic

L'agriculteur en colère

Les médias utilisent régulièrement le thème de l'agriculteur « en colère ». Les titres utilisent souvent des expressions telles que « les agriculteurs furieux » ou un langage combatif tel que « les agriculteurs ripostent ». L'idée d'une « politique de la fourche » et de l'exceptionnalisme agricole - selon laquelle les agriculteurs bénéficient d'un traitement préférentiel par rapport, par exemple, aux manifestations pour le climat.

« Agribashing »

Diabolisation de l'agriculture : les agriculteurs sont présentés comme des pollueurs, des industriels, des acteurs clés de la dégradation climatique et de la perte de biodiversité, nuisibles à l'environnement et au bien-être animal, et considérés comme des personnes plaintives/négatives.

...vs. Image idyllique

Image fantasmée de la « vie simple », bucolique, des fermes au coucher de soleil éternel, de la vie à la ferme « instagrammable » - en particulier pour les jeunes « agriculteurs influenceurs » sur les réseaux sociaux, par exemple le mouvement de l'agriculture régénérative. L'agriculture comme mode de vie - partie intégrante du patrimoine culturel. Également utilisée comme outil publicitaire.

Producteur alimentaire

Le rôle des agriculteurs est réduit à la production alimentaire - moins de reconnaissance pour les autres avantages socio-économiques qu’ils apportent, tels que la vitalité rurale, la création d'emplois, la biodiversité, le climat, la santé publique. Discours omniprésents sur « nourrir le monde » et « la sécurité alimentaire » - par exemple : « Pas d'agriculteurs, pas de nourriture ».

La taille compte

Petite exploitation = bonne

Grande exploitation = mauvaise

Image de l'agriculteur

Homme blanc âgé, portant une chemise en flanelle et un chapeau (cliché), souvent impeccable ; tracteur/machines. « Agriculteur à l'ancienne » (traditionaliste, travaillant à la main/au tracteur) vs « jeune agriculteur » (utilisant des technologies de pointe). Caractéristiques : considéré comme peu instruit et peu qualifié (en particulier les ouvriers agricoles), conservateur/réfractaire au changement, têtu, travailleur, traditionnel/dépassé, sacrifiable. Les « agriculteurs » comme un tout homogène.

Agriculture vs environnement

L'agriculture et la production alimentaire sont présentées comme fondamentalement incompatibles avec l'environnement. Les agriculteurs sont présentés comme « anti-environnement », en particulier à la suite des manifestations des agriculteurs de l'UE, largement expliquées comme une réaction contre le pacte vert pour l'Europe de l'UE.

La durabilité comme « fardeau »

L'agriculture durable est considérée comme un fardeau, nécessitant des « compromis » - par exemple, plus coûteuse et/ou moins productive. Discours réductionniste : « qui doit payer, l'agriculteur ou le consommateur ? ».

Agriculteur en difficulté...

En difficulté financière, accablé par la bureaucratie, concurrencé par le marché, en mauvaise santé mentale, socialement isolé. « Victime du système », avec les petits agriculteurs familiaux contre les « grands ». Agriculture en crise - face à une crise permanente (par exemple, Covid, Ukraine). Discours sur la précarité. Profession peu attrayante.

... contre l'agriculteur de salon

Profiteur, cupide. Propriétaires fonciers/entreprises agricoles contre agriculteurs. « La PAC représente un tiers du budget de l'UE » est un argument récurrent. On entend souvent : « De quoi se plaignent-ils, ce sont des millionnaires ? » et/ou tracteurs/technologies sophistiqués = beaucoup d'argent.

Fracture entre les zones urbaines et rurales

Fossé entre les agriculteurs et le reste de la société, et vice versa - sentiment de mauvaise compréhension de la réalité de l'agriculture. Consommateurs éloignés des réalités de l'agriculture.

Agriculteurs d'extrême droite

Considérés politiquement comme étant de droite, mais de plus en plus associés à la montée de l'extrême droite, donc « réactionnaires ». Agriculteurs = obstacle au progrès. De plus en plus courramment anti-UE.

L'un des messages clés qui est ressorti des discussions est l'importance de raconter des histoires plus diverses et plus captivantes qui présentent les agriculteurs comme des professionnels qualifiés et des bâtisseurs de communautés, et non pas seulement comme des producteurs.

Afin de contribuer à combler le fossé entre les agriculteurs et la société, les membres du groupe de travail ont eu l'occasion d'explorer des exemples concrets illustrant comment les agriculteurs soutiennent la vitalité rurale, la gestion de l'environnement et le patrimoine culturel, autant de points clés soulignés lors de la réunion du groupe de travail. Il s'agissait notamment d'une série d'initiatives menées dans toute l'UE, telles que le projet d'agriculture régénérative en Slovaquie, le projet d'agriculture sociale en Irlande et le projet d'agriculture municipale en France, qui illustrent l'étendue des rôles des agriculteurs et leurs contributions volontaires au bien public (vous pouvez consulter la présentation sur la page de l'événement).

Le groupe a exploré les nombreuses façons d'y parvenir : par l'éducation, l'autopromotion des agriculteurs, des campagnes de communication et de sensibilisation, des programmes de récompenses et de reconnaissance (notamment des exemples tels que les Agricultural and Rural Inspiration Awards) et des concours nationaux.

Communication innovante : du storytelling aux « farmfluencers »

S'appuyant sur le terrain fertile pour la discussion développé lors de la première réunion et au cours des rencontres informelles des membres du groupe de travail, la 2ème réunion du GT (mai 2025) a approfondi le sujet, en se concentrant sur la transformation des idées initiales en stratégies concrètes et réalistes visant à renforcer la visibilité et l'attrait de l'agriculture, en particulier pour les jeunes agriculteurs et les futurs agriculteurs prêts à prendre la relève.

Le storytelling a été un thème central tout au long des deux sessions, qu'il s'agisse de récits personnels, de visites de fermes ou de plateformes numériques. De nombreux « farmfluencers » européens, experts des réseaux sociaux, tels que ceux soutenus par les réseaux nationaux finlandais et autrichien, sont déjà en train de changer la perception du public en partageant des expériences agricoles honnêtes et accessibles sur Instagram, TikTok et d'autres plateformes, comme l'illustre un article récent.

Mais tous les agriculteurs ne peuvent ou ne veulent pas devenir des communicants numériques, c'est pourquoi des campagnes coordonnées, telles que « There's More to the Story... » en Irlande ou « Farmfluencers » en Autriche, sont si importantes. Ces initiatives combinent les médias numériques et l'engagement physique pour reconnecter les gens à la terre et aux personnes qui produisent leur nourriture, démontrant ainsi la puissance de la combinaison du soutien public et des stratégies de communication.

Farmers and young people work together at Nograd farm, Hungary (c) Maszlik Családi Gazdaság

Semer des graines d'idées

Le groupe a ensuite été divisé en cinq sous-groupes afin de discuter de propositions concrètes en matière de politique et de communication visant à la fois à améliorer la compréhension du public et à soutenir les agriculteurs dans l'évolution de leurs rôles. Parmi celles-ci figuraient :

  • Une journée des agriculteurs de l'UE avec des événements ouverts au public dans les exploitations agricoles de tous les États membres ;
  • Une série télévisée de fiction, « Seasons change », conçue pour redéfinir l'agriculture comme une profession moderne, qualifiée et diversifiée ;
  • Des partenariats avec les médias afin d'assurer une couverture multimédia régulière, mettant les agriculteurs au centre de l'attention

Après un vote, c'est l'équipe des administrateurs publics qui a remporté la première place avec sa proposition « F.A.C.E. » pour les agriculteurs. Dans cette proposition, quatre piliers – Farmers' social security (sécurité sociale des agriculteurs), Access to land (accès à la terre), Communication and recognition (communication et reconnaissance) et Education (éducation) – travaillent ensemble pour transformer le paysage agricole et créer une stratégie à plusieurs volets visant à rendre l'agriculture plus attrayante en tant que carrière.

Ce plan comprend des mesures concrètes telles que l'extension des services d'aide sociale, la suppression des obstacles à l'entrée pour les nouveaux agriculteurs, l'amélioration de l'image publique de l'agriculture en tant que profession respectée et essentielle, et l'intégration des thèmes agroalimentaires dans les programmes scolaires.

Le résultat ? Une approche de l'agriculture plus connectée et tournée vers l'avenir, qui place les agriculteurs au cœur de nos communautés.

Un message qui prend racine

La dynamique s'accélère à mesure que de plus en plus d'agriculteurs, de communicants et de décideurs politiques se joignent à l'effort pour redorer l'image publique de l'agriculture. Et le message qui prend racine est clair : l'agriculture n'est pas seulement un métier, c'est le fondement même de la société.

Les messages clés du groupe thématique sont résumés sur sa page d'accueil, qui propose également une sélection inspirante de bonnes pratiques compilées avec l'aide des membres du groupe thématique, donnant un aperçu de l'éventail des activités menées dans différentes régions de l'UE.

Les bonnes pratiques portent sur les interactions des agriculteurs avec le public, les initiatives éducatives et les actions de communication et de sensibilisation. Ces catégories reflètent les diverses stratégies utilisées pour mieux faire comprendre au public le rôle essentiel que jouent les agriculteurs au-delà de la production alimentaire. Qu'il s'agisse d'interagir directement avec les citoyens, de partager des expériences personnelles, de renforcer les compétences des agriculteurs en matière de communication, de proposer des programmes éducatifs ou de mener des campagnes ciblées, chaque catégorie illustre une manière différente de rendre les contributions des agriculteurs plus visibles et plus appréciées par la société.

Les résultats du groupe thématique alimenteront les travaux futurs du réseau européen de la PAC, notamment les groupes thématiques en cours sur « Libérer le potentiel de la coopération » et « Améliorer la résilience hydrique dans les zones rurales grâce à la PAC », dont les premières réunions viennent d'avoir lieu.

Pour rester informé sur ce sujet, consultez le site web du Réseau européen de la PAC et suivez @eucapnetwork sur les réseaux sociaux.